LÉtat est-il un mal nécessaire ? L’État a toujours joué un rôle crucial dans l’histoire de l’homme, souvent au cˆ ur des décisions, grâce à son rôle politique et social. L’État se définit par un ensemble d’administration, d’institutions qui régulent la vie en société par l’instauration de lois pour permettre une cohabitation des hommes dans une même
Il ne faut pas toutefois imaginer que Rousseau conçoive un retour possible à l’ état de nature » Il vous prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage », écrit Voltaire à Rousseau, dans une lettre datée du 30 août 1755. L’homme, dans la mesure où il est, par nature, perfectible, évolue nécessairement, et cette évolution se traduit obligatoirement par une transformation ; il est nécessaire pour l’homme de se socialiser. Le concept de perfectibilité » rend raison de ce qu’est la nature humaine à la différence de l’animal, qui est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans, l’homme est capable de s’arracher à sa nature, et de devenir autre que ce qu’il était originellement. L’homme en effet, contrairement à l’animal, est libre, et la perfectibilité témoigne de cette liberté C’est dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme ». Le problème est bien que l’homme s’écarte de la règle naturelle pour son avantage, mais aussi pour son préjudice. Et c’est pourquoi il peut être le seul, précisément, à pouvoir se dénaturer », et le seul encore à pouvoir se montrer inhumain ». Il n’existe pas de mot pour dire qu’un animal s’est écarté, pour le pire, de sa nature. Seuls, finalement, les animaux domestiques pourraient être considérés comme des animaux dénaturés… Pourquoi en effet l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? » se demande encore Rousseau. Parce qu’il est libre. Il l’est donc pour le meilleur et pour le pire. On ne pourrait donc envisager, d’une manière plus générale, la notion de nature sans la notion de culture. À ce titre, comme l’avait envisagé Rousseau, l’homme à l’état de nature n’existe sans doute pas. Nous naissons toujours dans un environnement et dans une culture donnée même les peuples dits primitifs », dont l’environnement naturel demeure le seul environnement, et vivant à l’écart de toute civilisation, sont des êtres de culture. C’est ce que montre Claude Lévi-Strauss 1908-2009 les études menées à partir de l’observation des peuples primitifs, prétendument restés à l’ état de nature », prouve bien que ces hommes possèdent leur propre culture. Appartenir à une culture n’a alors plus rien à voir avec le fait d’être cultivé » ; Rousseau l’avait en outre montré on peut être cultivé, et être dénaturé ». En dépit de cela, le passage de la nature à la culture est irrémédiable. Finalement, il n’existerait pas de nature humaine », ce qui ferait perdre à l’expression homme dénaturé », tout son sens. Toute culture est, en quelque sorte, une seconde nature ». En ce sens, il est donc inexact de penser que la civilisation puisse être à l’origine d’une modification négative de la nature humaine. Pourtant, les civilisations ou les sociétés ne se valent pas toutes. Nous devons admettre, sans pour autant renoncer à la richesse que représente la diversité des cultures, l’existence de situations particulières, dans l’histoire des hommes, que nous devons condamner. Certaines croyances ou certaines idéologies engendrent la barbarie ; ne pouvons-nous pas penser que l’idéologie nazie dénature l’homme ? Il est évidemment bien plus dégradant pour l’homme en tant que tel d’être un représentant du nazisme allemand le persécuteur qu’être un juif allemand le persécuté. L’homme dégradé n’est finalement pas la victime, mais le bourreau. D’une tout autre manière, les actes de cannibalisme paraissent, d’une manière universelle, dégradant pour le genre humain lui-même, même si ceux-ci font partie intégrante d’une culture donnée. La culture » ne peut servir de prétexte pour que certains actes inhumains soient rendus légitimes, au nom de cette culture.
citation1 L' Etat, c' est le mal, mais un mal historiquement nécessaire, aussi nécessaire dans le passé que le sera tôt ou tard son extinction complète. La Liberté de Mikhaïl

En s’inspirant des idées de Gandhi, cet article ambitionne de repenser à nouveaux frais la question des justifications éthico-politiques de la violence révolutionnaire. Après avoir identifié cinq registres de légitimation de l’emploi des armes dans le renversement du capitalisme, nous montrerons qu’aucun d’entre eux ne satisfait aux conditions stratégiques et éthiques d’une révolution réussie ». Mais, si la violence révolutionnaire doit être bannie, sommes-nous condamnés à la passivité et à une lâche acceptation de l’ordre établi ? En partant du constat que tout pouvoir repose en grande partie sur le consentement des sujets, ne peut-on pas élaborer une stratégie révolutionnaire non-violente, fondée sur le refus de collaborer avec les institutions génératrices d’injustice ? Dans cet article, nous partirons de l’hypothèse selon laquelle une révolution, c’est-à-dire un renversement de l’ordre politique et économique, est nécessaire[1], ne serait-ce que du fait de l’irrationalité d’un système capable de nourrir 12 milliards de bouches mais dans lequel 17 000 enfants meurent quotidiennement de malnutrition[2]. Ceci étant posé, une question surgit immédiatement, celle de la légitimité de la violence, que l’on considère généralement comme inhérente à tout processus révolutionnaire. Il s’agit là d’une question philosophique pérenne, quasi-éternelle, que tout révolutionnaire, d’hier comme de demain, de Paris comme de Tunis, ne saurait éviter. Deux récentes contributions ont réouvert le débat et méritent d’être mentionnées. Dans une conférence[3] prononcée au colloque Marx International en octobre 2004, le philosophe français Étienne Balibar exprimait son regret devant ce qu’il nommait rencontre manquée » du XXe siècle, celle de Lénine et Gandhi. À ceux qui opposent stérilement ces deux plus grands théoriciens-praticiens révolutionnaires » du siècle passé, Balibar propose une articulation féconde entre dictature du prolétariat et désobéissance civile. Cette nouvelle hypothèse stratégique – une révolution combinant les mérites respectifs de la violence et la non-violence – enseignerait aux révolutionnaires d’aujourd’hui que leur lutte, pour être victorieuse, doit respecter un principe d’autolimitation », par lequel est laissé à l’adversaire un moment d’ouverture pour lui offrir l’opportunité de transformer son point de vue. George Labica, autre philosophe français issu de la tradition marxiste, formula en 2005 une réponse lapidaire[4] à l’invitation de Balibar à repenser à nouveau frais le couple violence/non-violence dans son rapport à la révolution. En affirmant que la violence n’est pas un choix », Labica soutient – de manière à peine voilée – qu’elle est une nécessité et qu’elle s’en trouve, de ce fait, justifiée. D’où il s’ensuit que la non-violence est incapable de dépasser le stade des louables intentions » et que, pour se libérer, les opprimés devront impérativement en passer par les armes et le terrorisme de résistance » comme en Irak ou en Palestine. Le clivage entre Balibar et Labica[5] concerne la légitimité de la violence révolutionnaire. Aussi souhaitons-nous, dans la suite de ce texte, identifier les arguments régulièrement mobilisés dans ce débat sans fin. Une définition restrictive de la violence, que nous ferons nôtre, fait consensus. Elle désigne comme violente » toute atteinte volontaire à l’intégrité physique d’un ou plusieurs êtres humains. Sont ainsi exclus de cette définition les dommages corporels dus au hasard, à la fatalité ou aux phénomènes naturels, de même que les atteintes à l’intégrité morale ou psychologique, car il est évident qu’une révolution, même des plus pacifiques, ne va pas sans heurter les mentalités, ou rompre avec les idées communément admises, parfois d’origine immémoriale. La violence désigne donc une atteinte physique dans laquelle est engagée une responsabilité humaine. Partant, la violence révolutionnaire » est la forme spécifique de violence physique visant le renversement de l’ordre établi et, dans sa version marxiste et anarchiste, l’abolition de l’État et le dépassement du capitalisme. Elle se donne pour horizon l’édification d’un monde commun, de ce que Gandhi appelle une société non-violente, Marx le communisme et les libertaires l’anarchie. Chacun nommera cette société comme il le souhaite, du moment qu’il entende derrière l’abolition de la propriété privée des moyens de production et l’instauration du régime politique qui lui correspond une démocratie directe et fédéraliste. L’État revendiquant, avec succès, le monopole de la violence physique légitime armée et police sur un territoire donné[6], les opprimés en état de révolte disposent bien rarement des fusils et des tanks pour défendre leur cause. Mais lorsqu’ils ont la possibilité de s’armer, une question se pose alors à eux doivent-ils user ou non des moyens de violence qui sont à leur disposition ? Cette question jamais résolue nous semble des plus cruciales concernant la stratégie révolutionnaire dans son ensemble. La violence révolutionnaire est-elle jamais légitime ? Si oui, pourquoi ? Si non, que substituer aux méthodes d’action violentes ? Pour répondre à ces questions, il convient de commencer par un inventaire des arguments qui, de tout temps, ont été mobilisés pour défendre la légitimité éthico-politique de la violence révolutionnaire. Cinq axes de justification se font jour. Les révolutionnaires de tout poil les ont bien sûr sélectionnés, combinés et adaptés en fonction des circonstances historiques, des contextes politiques et de leurs idéologies spécifiques. 1 La violence défensive la violence est légitime car elle n’est qu’une contre-violence. Il s’agit exclusivement d’une réponse à une agression première, à savoir la violence institutionnelle de l’État ou, dans les situations de montée du fascisme, à la violence organisée de la bourgeoisie, de ses milices et de ses nervis. Le caractère secondaire et dérivatif de la violence révolutionnaire dédouane ceux qui l’ont perpétré de leur responsabilité morale. 2 La violence historique la violence est dans ce cas présentée comme inscrite dans les lois de l’Histoire. Le déroulement des révolutions passées est là pour en témoigner. La violence est légitime car nécessaire pour permettre au passé d’accoucher de l’avenir, selon la formule fameuse de Marx. Sans elle, point de salut historique. 3 La violence cathartique la violence révolutionnaire possède une valeur libératrice et réparatrice. Elle permet aux opprimés d’expurger la douleur si longtemps intériorisée. En se vengeant, ils recouvrent leur dignité et acquièrent leur indépendance. En tant que sacrifice rédempteur, la violence ouvre la voie à l’avènement d’un homme nouveau ». 4 La violence révélatrice en précipitant la répression policière et militaire, la violence a pour but de révéler la véritable nature intrinsèquement fasciste » de l’État. Il s’agit de provoquer ce dernier pour l’amener à dévoiler aux yeux de tous que – derrière les fallacieuses idéologies du bien commun et de la souveraineté populaire – la force constitue en dernière analyse son seul et unique fondement. 5 La violence efficace les protestations verbales et les déclarations d’intentions n’ont jamais changé le monde. La non-violence n’est par ailleurs qu’une forme dissimulée de lâcheté et de réformisme petit-bourgeois, reculant devant l’usage des moyens nécessaires à la réalisation des fins. Pour la révolution, il n’est donc qu’une seule solution l’action violente minoritaire ou de masse. Ces arguments ne nous semblent pas tenir, et nous aimerions le montrer, en nous inspirant, une fois n’est pas coutume, de la pensée de Gandhi[7]. Loin de nous l’idée de saupoudrer d’un peu de folklore asiatique la sérieuse discussion révolutionnaire sur le rôle de la violence. Il faut considérer avec le plus grand respect et une attention soutenue les apports du Mahatma sur la question. Il est d’ailleurs regrettable que les traditions marxiste et libertaire – à quelques exceptions près[8] – aient totalement fait l’impasse sur les enseignements de Gandhi. Toute révolution, soutenait Simone Weil, n’est que le produit des moyens employés pour la faire aboutir. À ce titre, n’avait-elle pas raison d’affirmer que plus il y a de violence, moins il y a de révolution »[9] ? Reprenons un à un, pour les critiquer, les cinq arguments présentés ci-dessus. 1 La violence défensive Il est indéniable que la violence des prolétaires, des colonisés ou des esclaves n’est qu’une réponse à celle de leurs oppresseurs. Ce fait ne saurait être contesté, si l’on prend la peine d’observer les situations révolutionnaires passées. Mais suffit-il à rendre cette violence légitime ? Une donnée supplémentaire doit être prise en compte. Dans une guerre civile révolutionnaire, l’adversaire adoptera lui aussi la stratégie de légitimation de la violence défensive ». La violence initiale et fautive, c’est toujours celle de l’autre. Aussi, pour sortir de cette spirale infernale où toutes les violences sont légitimes » et où toutes s’exercent donc sans limite, il n’est qu’une seule solution le désarmement unilatéral. Sans quoi le monde court à sa perte, à sa disparition au sens littéral. Mais attention, qui dit se désarmer ne dit pas arrêter de lutter. Il s’agit au contraire de lutter autrement. Il ne faut pas par ailleurs tomber dans un relativisme éthique absolu. Dire que la violence défensive n’est pas légitime ne signifie pas que toutes les violences se valent. La violence spontanée vaut mieux que celle préméditée, la violence défensive est préférable à celle agressive, et la violence d’une minorité opprimée est plus compréhensible que celle des oppresseurs organisés. 2 La violence historique Un bref raisonnement par l’absurde suffit à réfuter l’idée que la violence serait inscrite dans les lois de l’histoire ». Si la loi du talion prévalait, notre espèce aurait disparu depuis des siècles, puisque la logique du œil pour œil » aurait tôt fait de rendre tout le monde aveugle. Or, nous sommes là pour le constater, tel n’est pas le cas. Une seconde manière de réfuter la thèse de la violence comme nécessité historique revient à remarquer que, contrairement à ce qu’a longtemps soutenu un certain marxisme orthodoxe, nous savons aujourd’hui que, violence ou non, il n’est pas de lois » de l’Histoire. L’homme a beau être soumis à un conditionnement social, l’histoire en tant que catégorie transcendante hors de notre portée n’est qu’un fantasme métaphysique et fataliste, un fétiche si l’on veut. Les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances », écrivaient Marx et Engels dans L’Idéologie allemande[10], brisant ainsi l’alternative binaire entre un matérialisme vulgaire et un idéalisme humaniste. Dans la même veine, explique Cornelius Castoriadis, le propre d’une société autonome est de rompre avec l’imaginaire hétéronome d’une nécessité historique et de prendre conscience que l’humanité est à l’origine de ses propres lois et institutions[11]. 3 La violence cathartique Faut-il vraiment faire souffrir celui qui nous a opprimé pour se sentir soulagé ? Dans certains cas parfois. Mais cette sadique thérapie suffit-elle à consacrer un droit à la vengeance » ? Une société future, radicalement différente de celle-ci, ne devrait-elle pas plutôt, autant que faire se peut, instituer une logique politique du pardon ? Peut-on rendre un tyran entièrement responsable des souffrances infligées à ses sujets, et en retour permettre à ces derniers de soulager leurs malheurs en égorgeant leur maître ? En outre, peut-on imputer la responsabilité des maux sociaux du capitalisme aux seuls capitalistes et ainsi exiger qu’ils en soient violemment punis ? Non, car il ne faut jamais oublier que, de même que les prolétaires sont à leur place non par incompétence individuelle ou choix volontaire mais du fait des mécanismes impersonnels qui assurent la reproduction sociale, les bourgeois n’occupent majoritairement leur position sociale que parce que leurs pères, et les pères de leurs pères, l’occupaient. On ne choisit jamais entièrement d’être exploiteur, ou de vivre des revenus – passés et/ou présents – de l’exploitation. Marx écrivait ainsi qu’on ne peut rendre l’individu responsable des rapports dont il reste socialement la créature, quoiqu’il puisse faire pour s’en dégager »[12], si bien que l’on peut affirmer, avec Bourdieu, que les dominants sont dominés par leur propre domination. 4 La violence révélatrice Cet argumentaire caractérise avant tout les groupes d’action directe tels que la RAF allemande ou les Brigades rouges italiennes. Selon eux, les attentats terroristes contre les représentants de l’État ont pour effet d’entraîner la répression policière, dévoilant ainsi que l’État n’a aucune légitimité puisqu’il ne fonde son pouvoir que sur la force armée. Mais de telles violences sont-elles réellement nécessaires pour illustrer la nature bourgeoise et essentiellement conservatrice de l’État ? Cette nature n’est-elle pas déjà d’une évidence flagrante ? Et quand bien même les yeux de chacun n’auraient pas été dessillés sur cette évidence », ne vaut-il pas mieux perfectionner l’élaboration et la diffusion des idées révolutionnaires – de manière à mieux convaincre les gens sur cette question – que de commettre des violences immorales car touchant souvent des innocents et contreproductives car discréditant ainsi le mouvement ouvrier révolutionnaire dans son ensemble ? 5 La violence efficace Cette question en comporte en fait deux La violence est-elle réellement efficace ? Si oui, efficacité vaut-elle légitimité ? Il n’est en effet pas évident que l’efficacité d’une méthode suffise à en justifier le bien-fondé. Une chose n’est pas bonne au seul motif qu’elle est efficace – il n’est qu’à penser à l’exemple de la bombe atomique, qui a mis fin à la guerre avec le Japon. Ainsi, l’efficacité d’une action est une condition nécessaire mais non suffisante à sa légitimité. En outre, et il faudrait commencer par là, quels éléments nous permettent d’affirmer ou non que la violence est efficace ? Il faudrait déjà distinguer entre l’efficacité dans l’absolu et l’efficacité par rapport à d’autres modes d’action politique élections, recours au Conseil constitutionnel, pétitions, manifestations, grèves, actions directes non-violentes, etc.. L’ambition de cet article n’est pas de fournir une réponse à cette question empirique éminemment complexe. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette question puisse véritablement être posée hors des conditions historico-pratiques qui sont susceptibles de la mettre à l’ordre du jour. Notons simplement, c’est la position de Gandhi, que les bienfaits de la violence – dont on croit lui être redevable – ne sont qu’apparents et temporaires. Les résultats acquis par les armes soit s’évanouissent rapidement, soit se retournent en leur contraire. Les justifications éthico-politiques de la violence révolutionnaire semblent ainsi s’évanouir une à une. Mais si la violence est reléguée dans les ténèbres de l’ergastule et si, en tant que révolutionnaires, nous avons renoncé à changer le monde par les institutions de l’ordre établi, considérant que celles-ci sont rodées à la domination et à l’oppression de groupes sur d’autres, quelle voie d’action nous reste-t-il ? Si ces deux options sont à rejeter, ne sommes-nous pas dès lors condamnés à l’inaction ou à une passivité complice ? Non, car il serait naïf de croire que l’action révolutionnaire est violente ou n’est pas ». Il existe, pour résister, une large panoplie d’actions directes non-violentes, d’ailleurs souvent mises en œuvre sans forcément la pleine conscience qu’il s’agit là de méthodes non-violentes. Notons dès le départ que les grèves – y compris générales et expropriatrices – et les manifestations, dans l’immense majorité des cas, constituent des actions non-violentes. Outre ces deux modalités privilégiées du répertoire d’action collective contemporain, on relèvera des actions plus spécifiquement labellisées non-violentes », comme la désobéissance civile, le refus de l’impôt, l’objection de conscience, les sit-in, les occupations, etc. Une action n’est pas légitime du seul fait qu’elle est éthique. Autrement dit, que la non-violence soit conforme aux exigences de notre for intérieur ne suffit pas à la rendre politiquement valable. Si l’on souhaite œuvrer en vue d’une transformation révolutionnaire de la société, la non-violence, en plus d’être morale, doit être efficace. Le choix de la non-violence ne doit pas découler de considérations exclusivement humanistes. Il doit répondre à des exigences pragmatiques. L’action directe non-violente peut-elle remplir avec succès les tâches assignées à toute action révolutionnaire ou faut-il, comme le suggérait Sartre dans sa préface aux Damnés de la terre de Fanon[13], laisser éclater la colère et la haine, seules capables de rendre aux exploités leur humanité ? Il nous faut désormais montrer que si la non-violence constitue bien un outil de lutte efficace, c’est qu’elle se fonde sur une analyse pertinente des mécanismes psychosociologiques du changement social. Les actions directes non-violentes qui nous intéressent ici relèvent d’une stratégie de non-coopération collective. Le point d’application de la non-coopération peut concerner le domaine politique la désobéissance civile, la sphère du travail la grève ou celle de la production des biens et des services le boycott. Dans tous les cas, cette stratégie repose sur un présupposé quant à la nature du pouvoir politique. À l’instar de La Boétie glosant sur la servitude volontaire, la non-violence postule que le pouvoir des dominants dépend intimement du consentement des dominés. Il n’est de servitude que volontaire, de même qu’il n’est de domination, au sens de Max Weber, sans croyance, même partielle, de la part des dominés dans la légitimité des dominants[14]. Les esclaves se passeraient en quelque sorte eux-mêmes la corde au cou. Cette thèse ne doit pas être mal interprétée. De mauvais esprits soutiendraient précipitamment que, puisque le peuple s’asservit, telle doit rester sa condition. On a le sort qu’on mérite. Cette interprétation de l’hypothèse de la servitude volontaire est propre à la philosophie libérale et à celle des seigneurs. Elle passe entièrement à côté du message de La Boétie. L’hypothèse de la servitude volontaire – autrement dit la description du pouvoir politique comme reposant sur le consentement des sujets – annonce deux bonnes nouvelles. D’une part que la tyrannie peut être renversée sans armes, donc que la révolution peut être non-violente. D’autre part, que l’émancipation du peuple ne saurait être qu’auto-émancipation. Tout d’abord, puisque la soumission des hommes dépend moins de la force qu’ils subissent que de l’obéissance à laquelle ils consentent, la non-coopération collective constitue un moyen efficace de renverser un pouvoir tyrannique. Or, le simple refus d’obéir n’implique aucune violence physique. Nos maîtres ne sont grands que parce que nous nous agenouillons devant eux. La seule puissance du tyran, c’est de ses sujets qu’il la tient. Aussi, pour mettre à bas un système oppressif, nul besoin d’armes et de fusils. Il suffit pour cela d’arrêter d’obéir aux tyrans et aux petits tyranneaux chargés de transmettre ses ordres. Automatiquement, leur pouvoir s’effritera[15]. La stratégie non-violente se révèle ainsi être un moyen de lutte efficace contre les différentes formes de domination. En outre, l’analyse laboétienne du pouvoir fait signe vers l’auto-émancipation des opprimés. Puisque les sujets ne sont asservis que du fait de leur propre volonté, eux seuls sont en mesure de remédier à cette situation. L’auto-assujettissement implique inexorablement son revers l’auto-émancipation. Désormais, le peuple n’est plus seulement l’objet de la révolution, il en devient le sujet. Sa libération ne sera pas le fruit d’agents extérieurs. L’émancipation, pour être consistante et durable, doit être auto-émancipation. Avant de conclure, une nuance doit être apportée. La non-violence ne peut ni ne doit jamais être absolue. Gandhi lui-même, malgré son strict rejet de la violence et des idéologies qui la soutiennent, insiste sur le fait que la non-violence doit être une éthique relative. Il faut faire preuve de souplesse dans l’application de la doctrine, car les principes sont une chose, la bonne pratique une autre. Œuvrer à la révolution n’est pas un long fleuve tranquille. Aussi, ceux qui y travaillent se retrouvent-ils souvent dans des situations singulières et inattendues où agir de manière pacifique est tout simplement illusoire ou suicidaire. Dans ce cas, l’urgence vaut légitimation, et le recours à la violence ne saurait être par principe écarté. En outre, soutient Gandhi, la violence vaut toujours mieux que la lâcheté. Si l’idéal est celui d’une révolution non-violente, il faut pourtant reconnaître que, étant donnée l’apathie générale, on ne peut blâmer trop sévèrement ceux qui ou envisagent ou préparent la révolution par les armes. Ces groupes minoritaires, bien que violents, possèdent une vertu que n’ont pas les membres de la majorité silencieuse qui s’accommodent passivement de l’ordre établi le courage. Car, affirme Gandhi, alors qu’il n’y a aucun espoir de voir une lâche devenir une révolutionnaire non-violente, cet espoir n’est pas interdit à une révolutionnaire convaincue de la nécessité et de la légitimité de la violence révolutionnaire[16]. [1] Cette hypothèse communiste », comme la nomme Alain Badiou, revient à dire que l’humanité n’est pas condamnée à vivre sous la domination planétaire du capitalisme et des ravages qui l’accompagnent. Voir BADIOU Alain, L’Hypothèse communiste, Lignes, 2009. [2] Ces chiffres, directement issus des statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture FAO, sont commentés avec pertinence dans le documentaire autrichien de Erwin Wagenhofer, We feed the world 2005. [3] Cette conférence est retranscrite dans le dernier ouvrage de Balibar, Violence et Civilité, Galilée, 2010. [6] WEBER Max, Économie et Société, Plon, 1971, p. 21. [7] Dont les principaux écrits sont compilés dans Résistance non-violente, Buchet-Chastel, 2007. [8] Nous pensons notamment à l’intervention d’Étienne Balibar, citée précédemment, lors du colloque Marx International de 2004. [9] Citée in MULLER Jean-Marie, Simone Weil, l’exigence de la non-violence, Desclée de Brouwer, 1995, p. 120. [10] MARX Karl et ENGELS Friedrich, L’Idéologie allemande, Éditions sociales, 1972, p. 79. [11] CASTORIADIS Cornelius, L’Institution imaginaire de la société, Seuil, 1975. [12] MARX Karl, Œuvres I, Le Capital, Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1963, p. 550. [13] Voir FANON Frantz, Les Damnés de la terre, La Découverte, 2002 [1961], p. 17-36. [14] C’est là également à peu de choses près la définition de la violence symbolique » que l’on trouve chez Bourdieu et Passeron. Voir notamment La Reproduction, Minuit, 1970. [15] L’exemple de la résistance civile danoise au nazisme en constitue une illustration exemplaire. Suite à l’occupation du pays par les forces allemandes, au cours de l’été 1943, les Danois organisent immédiatement des actions directes non-violentes de masse. Toute une série de grèves viennent compliquer l’administration du pays par les autorités nazies. Puis, lorsque ces dernières décident de déporter les Juifs danois dans les camps de la mort, leurs concitoyens les évacuent rapidement vers la Suède, où ils seront placés en sécurité. La réussite de ces opérations galvanise les Danois, qui entreprennent alors une grève générale. Ainsi, bien que le pays n’ait été libéré qu’à la fin de la guerre, il ne fait aucun doute que l’action non-violente de masse a fortement contribué à affaiblir l’occupant nazi. [16] Gandhi, Tous les hommes sont frères, Gallimard, 1990, p. 179. Nos contenus sont sous licence Creative Commons, libres de diffusion, et Copyleft. 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Dissertation: L’État est-il un mal nécessaire ? Introduction Sans aucun doute, chacun d’entre nous aimerait pouvoir faire ce qui lui plaît quand cela lui chante. Mais nos désirs LE GRAND ANGLE DIPLO - Cette semaine, une dizaine d’ONG françaises et étrangères ont exigé du gouvernement qu’il cesse toute livraison d’armes à l’Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis. Sur ce sujet à la fois tragique et controversé, la chronique, comme chaque samedi matin à 7h15 sur Europe1, du rédacteur-en-chef international du JDD, François ces ONG, il y a les plus grandes comme Amnesty ou Human Rights Watch mais aussi bien d’autres qui sont actives et indispensables auprès des victimes du conflit au Yémen où au moins personnes sont mortes au sein de la population civile depuis 4 ans. Dans ce genre de débat sur les ventes d’armes, il faut bien reconnaître que tout est devenu de plus en plus binaire. Que des démocraties comme la France vendent des armes à des pays qui ne le sont pas, comme l’Arabie saoudite et les Emirats, voilà qui parait pour certains déjà contestable. Mais si en plus ces mêmes pays s’engagent dans des conflits qui causent de nombreuses victimes civiles et voilà la France carrément accusée de complicité de crimes de aussi - Armes françaises au Yémen ce que révèle une note militaire et pourquoi elle contredit la position de ParisOr, la note de la Direction du renseignement militaire à laquelle se réfèrent les ONG, et qui a été précisément réclamée par le pouvoir exécutif pour pouvoir évaluer la situation, évoque un risque. Un risque calculé que l’une des trois batteries de canons Caesar postés côté saoudien, ne finisse par tirer un obus qui toucherait des civils. Jusqu’à présent, et les ONG le savent, les Houthis que combattent la coalition arabe n’ont jamais apporté le moindre début de preuve qu’un obus ou une bombe de fabrication française aient tué des civils yéménites. L’inverse en revanche est prouvé. Les Nations Unis ont révélé que des missiles iraniens ont été tirés par les miliciens Houthis sur leurs adversaires et en zone d’habitation civile. Est-ce que cela résout le problème posé, les questions éthiques? abandonner ce secteur stratégique?Mais pour illustrer la complexité de ce dossier des ventes d’armes, il faut rappeler des vérités qui font parfois mal à entendre. D’abord, la France est, selon les années, l’un des trois premiers exportateurs d’armes dans le monde. Ensuite, elle s’efforce de livrer à des pays qui ne sont pas en guerre mais qui pourraient bien s’y retrouver confrontés. Tertio, et cette notion suscite souvent de l’indignation, mais si la France cessait de produire ou d’exporter, d’autres le feraient à sa place à commencer par les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Est-ce que ce secteur économique, industriel et stratégique doit leur être abandonné?"On a beau dire que ce secteur emploie en France personnes et indirectement, cet argument semble négligé, comme s’il était sulfureux"Et puis, il y a le modèle économique de l’industrie de l’armement. On a beau dire que ce secteur emploie en France personnes et indirectement, cet argument semble négligé, comme s’il était sulfureux. Idem pour les résultats à l’exportation, ce qui permet de rééquilibrer un commerce extérieur structurellement déficitaire. Sans oublier la recherche et le développement qui, comme chacun le sait, a d’infinies répercussions sur les inventions et les technologies dans le domaine civil et la consommation courante. Est-ce négligeable?Un débat paradoxalC’est tout le paradoxe du débat public sur ce sujet. D’un côté, tout le monde est d’accord pour dire que la guerre est une chose atroce qu’il faut éviter à tout prix et c’est pour cela que la diplomatie existe. De l’autre, l’armée française, est plébiscitée en tant qu’institution et pour son courage dans les opérations extérieures. Or, ses équipements ne peuvent être développés que s’ils sont également vendus à l’export. Le problème, c’est qu’une fois que le conflit est là, il y a au moins trois options La neutralité diplomatique, c’est le cas de la Suisse, qui soit dit en passant est le 11e exportateur mondial ;l’engagement aux côtés de l’un des belligérants, ce n’est pas le cas de la France au Yémen, même si une partie des armes vendues avant le conflit sont aujourd’hui utilisées par les saoudiens et les émiriens ;ou la volonté de jouer un rôle dans une zone stratégique pour l’ le Moyen Orient et le Golfe restent, pour l’Europe, notre sud et notre accès à l’Asie. Bref, les diplomates et les militaires français, quels que soient nos gouvernements, rappellent une chose que l’on doit prendre en considération au même titre que ce qu’énoncent, et c’est leur devoir, les ONG la paix chez soi se construit par la défense, celle-ci n’est viable que si elle innove et exporte. Ensuite, il est vrai qu’on peut choisir ses clients ou rompre ses contrats et ses alliances. Mais dans ce cas, c’est sa propre crédibilité et sa signature que l’on met en doute. Ce qui, pour une France qui veut rester puissance, même moyenne, est un vrai défi. LÉtat : un bien nécessaire C'est un fait qu'historiquement l'histoire de la succession des régimes et des gouvernements semble n'être que l'histoire de l'inégalité, de la servitude Ce 26 janvier 2022, l’association dénommée  Les Amis de la République AMIRE » a à la fois condamné et salué le coup d’Etat du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration MPSR.  C’était un mal nécessaire », a résumé le président des AMIRE. L’association  Les Amis de la République AMIRE » a une position mitigée par rapport au coup d’Etat perpétré par le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration MPSR. Du point de vue du cadre légal, l’AMIRE a condamné le putsch. Pour se justifier, Walillaye Adeguerou, le président de cette association a indiqué qu’il s’agit d’un fait anticonstitutionnel.  De facto, nous condamnons », a-t-il lancé.Dans un second temps, l’AMIRE a salué la prise du pouvoir par le MPSR.  C’était un mal nécessaire, au vu de l’impopularité grandissante du régime passé, au vu de l’incapacité pratique du régime à faire face au terrorisme », a indiqué le président de l’ ce qui précède, Walillaye Adeguerou dira ensuite   Il fallait faire quelque chose, il fallait que le jeu soit joué à l’interne. De l’interne le jeu n’a pas été joué. Ça a été joué à l’externe. Nous déplorons la situation mais c’était un fait et il le MPSR est venu quand même pour sauver quelque chose ».Le leader de l’AMIRE a également exprimé ses attentes envers le nouveau pouvoir.  D’abord lutter contre le terrorisme. Permettre aux gens de rejoindre leurs maisons, leurs villages, leur hameaux de culture. Deuxièmement, travailler pour lutter contre la corruption. En troisième position maintenant, il faut qu’ils travaillent effectivement pour qu’on puisse revenir à l’Etat normal des choses et qu’on puisse réfléchir ensemble pour que si demain, une situation de ce genre se présentait, pour qu’on n’ait plus à suspendre la constitution », a-t-il laissé conférencier a rappelé que l’AMIRE existe depuis 2017 et Å“uvre dans les domaines des Droits humains, l’éducation et les questions TIENDREBEOGOFaso7

De facto, nous condamnons », a-t-il lancé. Dans un second temps, l’AMIRE a salué la prise du pouvoir par le MPSR. « C’était un mal nécessaire, au vu de l’impopularité grandissante du régime passé, au vu de l’incapacité pratique du régime à faire face au terrorisme », a indiqué le président de l’association.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. » L'article deux de la Déclaration universelle des droits de l'homme assigne ainsi à l'État comme association politique un rôle plus fondamental que celui de la préservation de la vie et de la sécurité. Il s'agit alors de conserver protéger et fournir les conditions propices à leur développement les droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Par droits naturels, il faut entendre les droits qui nous sont essentiels, ceux qui nous appartiennent naturellement, du seul fait que nous participons du genre humain sans distinction de culture, de pays ou de religion. Ces droits sont imprescriptibles, ce qui signifie qu'ils sont absolus et non conditionnels on ne saurait légitimement les contester ou les refuser, les rendre hypothétiques ou propres à une catégorie seulement. L'article de la déclaration les identifie ainsi liberté, sûreté, propriété et résistance à l'oppression. Tous les hommes sont libres et doivent pouvoir jouir du droit à penser par eux-mêmes, il faut que l'État les protège; ils doivent pouvoir conserver leurs biens sans craindre la spoliation arbitraire et, enfin, ils ne peuvent être empêchés de lutter contre tout ce qui menace ces trois exigences fondamentales. Les droits de l'homme instituent alors une norme politique, un modèle idéal conforme à l'essence de l'homme. En outre, l'État désigne la société en tant qu'elle possède des organes politiques administratifs et juridiques autonomes, et, qu'elle est conçue comme une personne morale vis-à-vis des autres sociétés. L'Etat doit être distingué de la patrie, qui désigne le pays des ancêtres et de la communauté nationale. Il doit être également distingué de la nation, qui est une notion spirituelle c'est l'unité spirituelle d'une communauté, fondée sur des mœurs et une histoire communes. L'État est l'incarnation d'une volonté générale placée au-dessus de toutes les volontés particulières,. il vise l'intérêt général. C'est pourquoi le conflit principal oppose l'individu à l'État. L'individu a tendance à considérer que l'État est une administration à son service. L'État, de son côté, vise l'universalité et exige des sacrifices pour l'individu. Ainsi, la citoyenneté, l'appartenance de l'individu à l'État serait une limitation de sa liberté et aussi une limitation de toute sa personne, puisque l'Etat oblige l'individu à prendre en compte l'existence des autres et de la collectivité tout entière. Par exemple, le fait de devoir obéir aux lois ne se pense que par rapport à la bonne marche et à la paix de l'espace social. Dès lors l'individu, s'il veut vraiment se réaliser, devrait échapper à cette logique citoyenne et politique, en préférant, par exemple, sa vie privée à sa vie sociale, chacun oeuvrant alors pour son bonheur particulier, loin des préoccupations politiques. Pourtant si l'État limite ma liberté individuelle, il la garantit et la fait coexister avec la liberté des autres, ce qui est un signe de raison et de sagesse. De plus la citoyenneté me permet de prendre une part active dans la vie de la cité et m'invite donc à davantage de responsabilité. De même la dimension privée de mon existence ne peut être garantie que par l'existence d'un État fort et solide. De ces considérations émerge la trame de réflexion suivante Dans quelle mesure y a-t-il antinomie entre l’État et la liberté de l’homme ? L’étude portera dans un premier temps sur l’incompatibilité entre le cadre étatique et la liberté individuelle. D’un autre côté, nous évoquerons un État en tant que garant des libertés individuelles et collectives pour enfin expliquer les limites de l’absence d’une part et de la présence d’autre part de l’État. En premier lieu, en instituant la citoyenneté, l'État semble accéder à l'universel. Hegel écrit en ce sens qu'il est la réalité de l'idée morale », la rationalité accomplie, réalisant la morale et le droit qui, au niveau individuel, ne sont que des abstractions. Et le citoyen peut prétendre être l'homme véritablement humain, élevé au sens du bien public, plus raisonnable que l'individu particulier. Mais ce discours n'est-il pas une illusion? La réalité de l'État n'est-elle pas essentiellement répressive? Telle fut la position d'un anti-étatisme radical représenté surtout, au XIXème siècle, par l'anarchisme dont le projet est de détruire l'État en tant que tel ni Dieu, ni maître » et par le marxisme, qui voit dans l'État non le garant de l'intérêt général, mais des institutions et des appareils au service des intérêts particuliers de la classe dominante. L'anarchisme et le marxisme semblent donc se rejoindre dans leur critique de l'État et la société sans classe qu'ils souhaitent tous deux est aussi une société sans État. Il y a pourtant entre eux des différences importantes. La première est que Marx rattache l'analyse de l'État à l'évolution de l'histoire. Moyen pour assurer politiquement la domination de la classe économiquement possédante, l'État a une fonction et une nécessité que ne lui reconnaît pas l'anarchisme. D'ailleurs, dans la révolution prolétarienne, le marxisme voit moins la suppression de l'État comme tel que le remplacement de l'État bourgeois par un État prolétarien qui est censé s'éteindre progressivement. La seconde différence est que si marxisme et anarchisme sont tous deux des critiques radicales de l'État, cette critique n'obéit pas aux mêmes raisons. L'anti-étatisme de l'anarchisme se fonde sur un individualisme foncier. C'est parce qu'il est par nature contre l'individu que l'État est un mal en soi il est un universel dévorant. Marx lui reproche au contraire d'être un universel fictif qui prétend réaliser l'homme abstraitement dans le citoyen, au lieu de le réaliser effectivement dans la société. En outre, l’existence de l'État lorsque celui est répressif ou totalitaire revient à une limitation des libertés individuelles. Totalitarisme » désigne en premier lieu la théorie de l'État total » développée par le fascisme mussolinien d'abord, hitlérien ensuite, selon laquelle l'État est un absolu devant lequel les individus ne sont que des relatifs ». L'État devient alors l'objet d'un véritable culte. Pris en ce sens, totalitarisme» ne s'applique en toute rigueur qu'aux doctrines fascistes de l'État et à leurs réalisations politiques en Italie et en Allemagne. Par extension, des philosophes et sociologues comme Hannah Arendt ou Raymond Aron ont repris la catégorie de totalitarisme » pour penser de façon critique les invariants de certains régimes antidémocratiques contemporains nazisme, mais aussi stalinisme, maoïsme de la Révolution culturelle... Les constantes relevées de tout État totalitaire sont alors la mystique du chef, l'exercice d'un monopole idéologique étendu dans le domaine privé encadrement de la jeunesse, contrôle des relations familiales, professionnelles..., la militarisation de la vie politique, l'absence de séparation entre l'État et la société civile, la mise en place d'un appareil de terreur visant à la domination totale des individus. Dans 1984, George Orwell rassemble toutes ses caractéristiques pour dénoncer l’omnipotence de l'État la liberté d'expression en tant que telle n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées, et d’immenses affiches trônent dans les rues, indiquant à tous que Big Brother vous regarde ». Ainsi, l’État et la liberté de l’individu sont incompatibles lorsque celui-ci est répressif, totalitaire et n’a que pour seul objectif de prendre le contrôle totale de la population qu’il gouverne. En second lieu, l’absence d’État est sans doute bien plus dommageable encore, puisqu’elle rend impossible l’existence et l’application de la loi, la protection de l’intérêt général et, plus simplement, la vie en communauté. Dès lors, comment résoudre cette tension entre la nécessité de l’État et les dérives qu’il peut produire ? Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun » disait Hobbes dans Le Léviathan. Imaginons un instant la vie sociale sans l'existence de l' État. Qui aurait alors le pouvoir d'organiser la cité si tant est qu'elle soit concevable sans lui ? Comment les lois pourraient-elles être protégées ? Quelle instance aurait la légitimité de régler les différends entre les hommes ? Sans un pouvoir commun », tout porte à croire que la force se substituerait au droit et qu'il n'y aurait tout simplement plus de société possible. Avec cette citation, Hobbes nous aide à prendre conscience de la nécessité de l'État. Tant que l'État n'est pas fondé c'est ici ce qu'il appelle le pouvoir commun », les hommes ne peuvent pas vivre ensemble. Leur condition est alors la guerre, une guerre permanente, brutale et indépassable dans la nature, qui rend leur existence misérable et courte. Le salut se trouve dans l'institution de la loi, laquelle passe par une sortie de l'état de nature et l'abandon par l’homme de son pouvoir et de sa liberté de faire tout ce qu'il veut liberté infiniment restreinte puisque proportionnelle à la force dont on est capable et limitée par la force de l’autre. Le résultat de ce passage est la création de l' État et la conquête de la sécurité, puisque autrui ne représente plus un danger immédiat et n’a plus de pouvoir sur moi. De surcroît, Rousseau disait … chacun s'unissant à tous n'obéit pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution ». L'État doit être l'émanation concrète de l'union des hommes qui deviennent à travers lui des citoyens, et pas seulement des sujets. Néanmoins, l'association politique est vue comme un problème », parce qu'elle ne va pas de soi sous sa forme la plus égalitaire et que les hommes n'ont pas d'emblée les moyens d'instaurer le système le plus juste qui soit. C'est aussi un problème parce que le siècle de Rousseau ne le résout pas les inégalités sociales sont flagrantes L'homme est né libre et partout il est dans les fers » écrit-il. Il faut donc réaliser ce que l'histoire n'a jusqu'alors jamais permis de constituer un État dans lequel l'union aux autres ne soit pas la condition de notre aliénation, ou bien le règne de l'injustice dans lequel il n'y a que les puissants qui trouvent leur place. Pour cela, il faut plus qu'un consensus, il faut un contrat. Le consensus n'est qu'une apparence d'accord, il en est l'expression négative en tant que solution de compromis. On tente alors d'harmoniser des intérêts divergents en les conjuguant par défaut. Le contrat social au contraire pose une finalité objective ayant une valeur universelle et il ne peut reposer sur la simple addition des intérêts particuliers qui par définition ne s'accordent pas entre eux autrement que momentanément ou faute de mieux. Dans la perspective du contrat, c'est l'intérêt général qui est érigé en principe de l'association et ce n'est qu'à cette condition que tout le monde s'y retrouve », comme on pourrait le dire de manière triviale. Une contradiction apparente est alors levée en obéissant à l' État qui respecte le contrat, je n'obéis qu'à moi puisque je suis un contractant. A ce titre, l' État m'oblige et ne me contraint pas, sauf quand je ne respecte plus la loi que j’ai moi-même décidée en commun avec les autres On me forcera à être libre » - dit Rousseau. Je suis obligé de respecter ses lois parce qu'elles me protègent autant que tout autre et parce qu'elles n'ont ni préférences ni désirs. L'obligation repose aussi sur un rapport bilatéral je dois quelque chose à la loi, mais la loi me doit aussi quelque chose et nul ne saurait légitimement se placer au-dessus d'elle. A contrario, ce qui relève d'une contrainte ne repose que sur la force, l'arbitraire et l'intérêt particulier. On comprend alors que le contrat social permet de penser sans contradiction le fait qu'on puisse obéir tout en étant libre et tout en obéissant finalement à nul autre que soi-même. Néanmoins, le point de vue de Hobbes, par exemple, peut être mal compris car la distinction entre l'origine et le fondement n'est pas assez marquée, tout en légitimant un pouvoir politique autoritaire et absolutiste. Si l'on peut admettre que la quête de la sécurité et la conservation de la vie constitue une origine vraisemblable à la création d'une institution comme l'État, dont les premières formes sont évidemment archaïques et simples, il est dangereux d'en conclure que c'est là aussi son fondement, autrement dit, son principe. L'État n'a pas pour seule mission de nous assurer la sécurité, il doit aussi nous permettre de faire de nous des êtres libres. Qu'avons-nous à gagner si nous quittons les dangers de la nature pour les échanger avec ceux d'un État susceptible de se transformer en pouvoir absolu ? D’un autre côté, on peut reprocher aux personnes prônant l'anti-étatisme en général de ne pas faire de différence entre les États. Certes, comme le dit Montesquieu, tout pouvoir tend à abuser du pouvoir. Comment résoudre le problème que pose ce constat ? Deux solutions sont possibles. L'anti-étatisme est la première d'entre elles voir dans la disparition de l'État une condition nécessaire de l'émancipation des hommes. La seconde solution résulte en revanche d'une critique de l'État... par lui-même seule une forme déterminée d'État pourra lever le risque despotique que tout État porte en lui. Il suffit pour cela que l'État sache imposer des limites à son pouvoir. C'est le propre des démocraties modernes d'avoir essayé de définir de telles limites. En déclarant les droits de l'homme, l'État révolutionnaire français de 1789, et avant lui déjà le jeune État américain en 1776, ont accompli un geste dont la signification philosophique est importante pour la première fois, des États ont reconnu qu'il existait des droits naturels de l'homme antérieurs et supérieurs à toute autorité politique et que le but principal de l'État est de les préserver. Marx objectait aux droits de l'homme de n'être que des droits abstraits » laissant jouer les inégalités sociales. Mais l'erreur de l'anti-étatisme est sans doute de ne pas avoir bien perçu l'originalité des États démocratiques. Le fait qu'on y trouve des polices et des prisons ne signifie pas qu'ils sont de même nature que les dictatures. Quelles que soient les critiques qu'on peut faire à la citoyenneté, ne vaut-il pas mieux vivre dans un État où ses droits sont reconnus ? Pour conclure, l’État, et plus particulièrement l’État démocratique, est le défenseur de la liberté de l’individu. Il n’y a donc pas en général antinomie entre le cadre étatique et l’épanouissement de l’individu dans un environnement de liberté si l’on distingue État démocratique et État totalitaire. De surcroît, il n’est même pas nécessaire de se placer sur le terrain de la philosophie politique pour se poser la question de savoir si oui ou non l’Etat doit être maintenu pour permettre cet épanouissement. La transformation de la société postmoderne fait déjà éclater les contradictions de fait de l’existence de l’Etat. Le retour du nationalisme sur la scène des conflits internationaux nous montre à quel point les enjeux du pouvoir enveloppe aussi une crise d’identité culturelle. La nation est un mythe, mais qui, comme tous les mythes, a un sens capable de mobiliser les volontés individuelles. L’Etat moderne est en crise et son existence a cessé d’aller de soi, de valoir pour un idéal. Il est étouffé sous son propre poids, il est confronté à des exigences contradictoires. Quelque soit le régime sous lequel il est placé, de toute manière l’Etat aura sa rigidité. Quelque soit le régime politique qui le gouverne, l’Etat est aujourd’hui confronté au défit de la globalisation de l’économie et de l’information, confronté à une volonté locale de gestion, contre la hiérarchie qu’il impose d’en haut. Ces contradictions cependant n’éliminent pas le sens de l’action politique dont l’envergure devient aujourd’hui mondiale, à la mesure de la responsabilité que tout homme a devant l’humanité, à la mesure de la responsabilité que tout homme a devant la vie. P8LF.
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